Avec l’après-guerre commence alors le chapitre le plus connu de la vie d’Aristide Briand, celui du Pèlerin de la Paix. Marqué par la guerre et ses atrocités, le nouveau député de Loire-Inférieure va s’attacher à construire l’Europe. Après avoir cherché à constituer un axe franco-britannique, il se tourne vers la démocratie des Etats-Unis d’Amérique avec laquelle il espère former un partenariat privilégié, une sorte de lien bilatéral. Il exprime ce souhait à Washington, en 1921, mais c’est sans compter sur le refus américain d’intervenir auprès d’une seule nation en Europe, préférant à ce choix un accord bilatéral. C’est alors que Briand, adepte un temps de « prendre l’Allemagne au collet » et de l’obliger à payer les réparations, comprend que sans elle, la pacification et l’harmonie dans l’organisation continentale sont impossibles.
A la tribune de la Société des Nations (SDN), dont il se fait rapidement l’incarnation, il met toute son énergie à démontrer la nécessaire présence de l’Allemagne dans l’institution genevoise. Car les peuples n’attendent pas. Ils ne veulent « plus jamais ça » et profitent des Années folles pour oublier ce qu’ils considèrent comme « la der des der ». L’esprit de Genève naît alors, fondé sur l’arbitrage, le désarmement et la sécurité en Europe. Les accords de Locarno traduisent dans le droit international cet idéal de paix, et le prix Nobel de la Paix est attribué à Briand, quelques mois plus tard. Les accords Briand-Kellogg achèvent en 1928 de mettre « la guerre hors la loi ». Et tant pis si les traités sont imparfaits ; tant pis si, dans chacun des pays, s’élèvent des oppositions à la « politique du chien crevé au fil de l’eau ». Pour Briand, un Etat doit faire la politique de sa natalité, de même que, simultanément, il doit porter un espoir durable de stabilité.
Son dernier grand projet est soutenu à l’unanimité de l’Europe des….27 pays signataires: le Plan Briand d’Union fédérale européenne est mis en route en 1929, quelques semaines avant que n’éclate la crise économique mondiale. Dans les mois qui suivent, Briand garde les quelques espoirs que son enthousiasme européen lui apporte ; mais c’est le désenchantement, lorsqu’aux élections allemandes de 1930, 107 députés du parti nazi sont élus. « Tout est foutu », dit-il alors à celui de ses collaborateurs venu lui porter la nouvelle, à la tribune de Genève, où il s’exprime ce jour-là. Lorsque Briand déclare qu’il s’apprête à mourir « plein d’amertume », il pense aux efforts passés, et finalement vains, sur le chemin de la réconciliation entre les peuples, et que les plans Monnet et Schuman reprendront dans les années 1950. Ses amis tentent bien de le faire élire à la Présidence de la République, mais n’y parviennent pas. Briand ne le souhaite pas non plus ; il préfère la tribune de la SDN. Aussi, pour modérer son pessimisme en face des conséquences de la crise économique, ajoute-t-il avec passion qu’au cours de ces années passées, « nous avons parlé l’européen. C’est une langue nouvelle qu’il faudra bien que l’on apprenne ».
Mais, à l’aube du printemps 1932, celui qui rêva un temps d’être marin lâche la barre de la politique, et finalement celle de sa vie, et disparaît le 7 mars, à quelques jours de son 70ème anniversaire. Le monde entier et d’abord l’Europe sauront alors se souvenir de celui dont son dernier directeur de cabinet, Alexis Léger, connu sous le nom de Saint John Perse en littérature, résuma un jour la vie : « Tel fut Aristide Briand, homme de France et curieux homme, au service de la Paix ».
Christophe Bellon
[Texte extrait du dossier en ligne consacré à Aristide Briand et reproduit avec l’aimable autorisation de l’Assemblée nationale].